"Il ne suffit pas de connaître son client, il faut être capable d’exploiter cette connaissance"
À la fois CIO, CDO, et membre du comité exécutif d’Auchan Retail, Samir Amellal évoque avec nous les enjeux Data du secteur du retail pour l’année 2024.
Vous avez pris vos fonctions de Chief Data Officier chez Auchan Retail au début de l’année 2022. Vous aviez donné à cette occasion une interview dans laquelle vous évoquiez les défis d’Auchan en termes de données. Ces challenges sont-ils toujours les mêmes pour l’année 2024 ?
Certains, qui prennent du temps à être traités, sont toujours d’actualité. Mais fort heureusement d’autres ont été résolus. Entre-temps, de nouveaux enjeux sont venus s’ajouter, et plus particulièrement celui de l’IA générative dont l’impact sera sans doute considérable sur les métiers de l’entreprise de manière générale.
Nous avons également des enjeux concernant la diffusion et l’exploitation des données auprès de l’ensemble des métiers, ainsi que des questions qui touchent à la logistique. Enfin, au niveau Data Marketing, les problématiques les plus prégnantes tournent autour du Retail Media, même si nous avons bien avancé et avons atteint une certaine maturité sur ce sujet.
Selon vous, le secteur du retail a longtemps disposé d’une formidable richesse en termes de données qu’il n’a pas toujours su exploiter. Qu’en est-il désormais ?
Je pense qu’il y a un progrès. Les retailers disposent en effet d’une très grande masse d’informations sur leurs clients depuis longtemps. Lorsqu’on est un distributeur généraliste comme nous le sommes, on peut même extrapoler ces informations sur l’ensemble de la population. C’est très précieux par exemple en ce qui concerne l’approvisionnement. La donnée est de plus en plus exploitée, et, surtout, mieux exploitée par les distributeurs historiques, même si cela reste très perfectible si l’on compare avec ce qui se fait dans d’autres entreprises comme les GAFAM.
Quels sont les axes de progression sur lesquels le secteur du retail doit travailler ?
Il ne suffit pas de connaître son client, il faut être capable d’exploiter cette connaissance pour améliorer un service ou développer un nouveau produit. La question est plus vaste que la simple exploitation de la donnée.
Mobiliser les équipes en interne et s’adapter à certains changements en termes de pratiques seront parmi les enjeux clés de ces prochaines années.
Vous aviez notamment évoqué la problématique de l’ancienneté des systèmes informatiques pour les retailers historiques…
C’est un point essentiel. L’archaïsme de certains systèmes informatiques est un point qui peut s’avérer bloquant. Il ne suffit pas de disposer d’une grande quantité de données, encore faut-il être en mesure de les exploiter correctement. Nous nous employons quotidiennement à adapter nos systèmes d'information pour être en capacité de le faire.
De combien de points de vente dispose votre société en France ?
En Juillet, nous compterons environ 700 magasins, pour la plupart d’assez grande taille. Cela génère beaucoup de flux et de trafic.
Vous souhaitez poursuivre le développement du e-commerce. Comment est réparti le chiffre d’affaires d’Auchan entre points de vente physiques et e-commerce ?
Je n’ai pas le détail exact, mais je peux vous dire que le digital progresse. Le dernier classement Fevad nous fait gagner deux places en termes de visiteurs. C’est une activité en forte croissance, qui est complémentaire avec la vente physique.
L’idée est-elle de développer le “phygital” ?
Le phygital est évidemment un enjeu très important pour nous, comme pour tous les retailers. Le phygital c’est aussi la digitalisation du point de vente, et la complémentarité entre e-commerce et lieu de vente. Ce qui importe, ce n’est pas la multiplication d’objets connectés high tech, c’est l'adaptabilité aux usages de nos clients, en particulier ceux propres aux téléphones mobiles. La qualité et la continuité de service en magasin que permet le digital sont les points clés.
Dans un secteur aussi concurrentiel que le vôtre, quels sont les leviers Data qui vous permettent d'optimiser vos coûts d’acquisition client ?
Il faut relativiser ces coûts au regard de la rentabilité d’un client : si un client s’avère extrêmement rentable, ce n’est pas très grave si son coût d’acquisition a été élevé.
Ceci étant dit, les principaux leviers qui nous permettent d’optimiser nos coûts d’acquisition sont tirés de la connaissance que nous avons de nos clients et n’ont pas évolué tant que ça ces dernières années.
Nous exploitons également de nouvelles possibilités, notamment au travers du retail media.
Quels sont les outils les plus utilisés pour communiquer avec vos clients ?
Nous continuons principalement de capitaliser sur les emails et les SMS, et ce pour une raison simple : ce sont les outils les plus utilisés par nos clients. Nous essayons de rester pragmatiques à ce niveau. Il est plus facile d’accompagner des usages préexistants que des changements d’usage. Quand un client se sert déjà d’un téléphone mobile, c’est facile de lui demander de s’en servir plus.
Nous voyons plutôt les nouveaux outils (le RCS par exemple) comme des compléments à ce que nous utilisons déjà au quotidien. Encore une fois, il ne s’agit pas de faire un étalage de nouvelles technologies. Ce que nous cherchons à privilégier, c’est l’expérience client.
Vous préférez donc vous adapter aux usages de vos clients plutôt que de constamment miser sur des innovations ?
Nous cherchons effectivement à bien utiliser l’existant, tout en essayant de maîtriser les innovations.
Nous voyons se développer l’IA générative, qui constitue un élément essentiel pour nous. Nous poursuivons également nos efforts sur ce que nos clients utilisent déjà. Aujourd’hui il s’agit du téléphone mobile.
Dans le même temps, nous nous dotons de nouveaux outils IT suffisamment adaptables pour suivre les usages. Si demain nos clients n’utilisent plus que leurs dispositifs vocaux, nous serons prêts.
Disparition annoncée des prospectus, fin des cookies tiers, digitalisation du ticket de caisse… Comment abordez-vous ces “révolutions” ?
Ce sont des disparitions annoncées que nous accompagnons progressivement et qui font partie intégrante de nos préoccupations. Pour les prospectus par exemple, nous souhaitons les substituer au fur et à mesure par d’autres médias. Mais nous savons que certains de nos clients s’en servent encore, donc nous faisons en sorte que ce changement ne soit pas trop brutal. Idem pour le
Vous enseignez l’intelligence artificielle appliquée à la Data marketing. En quoi et comment va-t-elle bouleverser ce secteur ?
L’IA va bousculer tous les secteurs ! Il n’y a pas une verticale métier qui ne sera pas impactée. L’IA générative va par exemple apporter énormément en termes de production de supports publicitaires. Une fiche produit demain sera personnalisée en fonction de chaque client et de ce qu’on sait de lui.
Parlera-t-on alors d’hyper-personnalisation ?
L’enjeu n’est pas dans la capacité à personnaliser, ni dans la capacité de connaître les clients. Le principal enjeu se trouve dans la capacité à disposer d’une offre suffisamment différenciée.
(1) Cookie tiers : En informatique, un cookie est un petit fichier texte qui est déposé sur le disque dur d'un utilisateur qui visite un site internet. On parle de cookie tiers lorsque le cookie qui est déposé sur le disque dur d'un internaute provient d'un partenaire externe au site web visité par l'internaute.
(2) Cookieless : Le terme cookiless signifie que les cookies tiers ne sont pas utilisés pour identifier le profil de l'utilisateur qui consulte une application mobile ou un site internet.
(3) Second party data et Thrid Party Data : Dans le domaine du marketing, le terme second party data s'applique aux données relatives à un profil utilisateur, et qui proviennent d'un partenaire spécialiste de la collecte de données. Il est parfois difficile de les différencier avec les third party data, qui sont également des données de ciblage publicitaire collectées par des spécialistes du marketing digital à l'aide de cookies tiers. Les données second party data et third party data sont complémentaires à celles qui sont directement générées par des marques, que l'on nomme first party data.